• Extrait de Lucca avant parution

    Extrait de « Lucca » (roman), de Jean-Louis Vassallucci <o:p></o:p>

    Editions Syracuse (paru en décembre 2006)<o:p></o:p>

    ISBN 2-35 170-010-4  /  <o:p></o:p>

    Prix en librairie : 13 50

      

    PS : pour ceux qui habitent Paris, "Lucca" est en vente à la librairie corse de l'Espace Cyrnéa

    (38 allée Vivaldi, PARIS 12ème - 01.43.40.13.43).

      

    ·  http://www.librairiedialogues.fr/livre/484225-lucca-roman-jean-louis-vassallucci-ed-syracuse

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    Chapitre 4 - Le chien de Pietrone<o:p></o:p>

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    Pour ses quatorze ans, en mars 1770, Pietrone Tucci avait reçu de son père un cadeau inhabituel : un chiot né de l’union d’une louve des Apennins et d’un mâtin de Naples. A un an, il était déjà plus rapide et puissant que la plupart des chiens de la campagne ligure. Pietrone l’avait baptisé Oratore, pour le caractère sonore et persuasif de ses aboiements. En grandissant, l’animal devenait véritablement un double du jeune Génois.<o:p></o:p>

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    Pietrone devait néanmoins recourir à des dresseurs pour éduquer son fauve et en faire un gardien avisé. Pendant que lui-même apprenait à se discipliner par le métier des armes. Chacun entraînait l’autre vers plus de rigueur et d’exigence vis à vis de lui-même. Pietrone Tucci, devenu un géant, ne renonçait jamais à défier son animal à la course. Tandis qu’Oratore déployait des trésors d’invention pour communiquer avec son maître. En parcourant tous les soirs les collines, entre Gênes et Rapallo, le jeune homme et l’animal se forgeaient une fidélité sans failles.<o:p></o:p>

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    Venu en Corse à 27 ans, durant le torride été 1783, Pietrone avait laissé à son père son chien vieillissant. A treize ans, Oratore ne sortait plus de la cour de la maison Tucci. Ses pattes supportaient avec peine sa carcasse pesante. Sa puissante mâchoire elle-même semblait devenue un poids et sa tête restait la plus grande partie du temps posée à même le sol. C’était là à l’évidence son dernier poste de garde. En outre, l’animal n’avait pas le pieds marin et tolérait mal le mouvement de balancier des felouques.<o:p></o:p>

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    Le jeune maître d’armes génois, qui voulait vivre de l’enseignement de son art, pensait aussi qu’il serait plus prudent de n’avoir qu’une bouche à nourrir. Du moins, les premiers temps. Parti en Corse pour une vie aventureuse et probablement pour fuir un amour impossible, Pietrone ne s’était encombré non plus ni de bagages, ni de richesses. Sa fortune se résumait à une bourse bien remplie offerte par son père, malgré sa vive désapprobation du voyage. <o:p></o:p>

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    Les débuts hasardeux de Pietrone en Corse s’étalèrent finalement sur plusieurs années. De 1783 à 1786, ses difficultés ne cessèrent de s’aggraver. Arrivé à Bastia, il tenta d’installer sa salle d’armes au cœur du quartier de la Citadelle. Après avoir tapé à toutes les portes, il comprit que personne ne l’y aiderait. En septembre 1784, il se replia sur le faubourg St Nicolas où un commerçant lui loua un ancien entrepôt. C’est à cette adresse qu’un courrier de son père lui apprit la mort d’Oratore. <o:p></o:p>

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    Aucun mot ne pouvait dire la peine que procurait au maître d’armes la mort de son chien. N’ayant pas les moyens de rentrer à Gênes, il écrivit seulement à son père de prendre soin de lui et qu’il l’aimait. Par pudeur, il n’évoqua pas ses énormes difficultés matérielles. Il voulait croire que tout cela n’était que passager. La qualité de  ses enseignements ne manquerait pas de compenser le cadre modeste dans lequel il lui fallait les dispenser. <o:p></o:p>

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    Las, le décor piteux et ses pauvres équipements n’attirèrent que des élèves désargentés. Fin août 1786, son brave propriétaire, après lui avoir consenti toutes sortes de facilités de paiement, lui demanda de libérer le local. La chaleur aidant, il ne fit guère pression sur son locataire et le laissa occuper deux mois encore, sans aucun loyer, la triste salle d’armes. Fin octobre, Pietrone fut convoqué chez les Bernardini au cœur du lieu-dit la Colline. Il s’agissait d’une invitation à dîner. Mais aussi à restituer les clefs. Le neveu des Bernardini, arrivé tout droit de Bastelica, entendait se lancer dans le commerce d’ustensiles de cuisine. Il lui fallait donc un entrepôt. <o:p></o:p>

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    Le commerce de biens et de denrées finissait toujours par rendre riche. C’est ce dont le propriétaire de Pietrone aurait voulu le convaincre. Il suffisait d’appréhender la demande et d’y répondre. La modernisation de la vie bastiaise allait de pair avec un grand besoin d’équipements ménagers. Une conjoncture idéale pour le négoce d’ustensiles de cuisine. Un métier prometteur auquel Pietrone était invité, pour l’occasion, à s’intéresser. <o:p></o:p>

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    Calistu Bernardini n’avait pas toujours rêvé de louches et de marmites. En quittant Bastelica, pour rejoindre le frère cadet de son père à Bastia, il apportait une première réponse à son désir de découvrir le monde. Les ustensiles de cuisine n’auraient qu’un temps. Le Continent et, pourquoi pas, le Nouveau Monde suivraient. C’est ce qu’il expliqua avec une grande conviction à Pietrone Tucci, lors du dîner de remise des clefs. <o:p></o:p>

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    Le Génois et lui avaient le même âge. C’était leur seul point commun évident. Le Corse ne mesurait pas plus d’un mètre soixante-cinq. Ce qui dans son village en faisait un homme de stature convenable. Beau garçon, il appréciait tout ce qui pouvait le mettre en valeur. Loquace, il s’exprimait de façon mesurée avec un discret souci d’élégance. Face à lui, Pietrone ressemblait à un mercenaire en campagne. La fierté et la bonté d’un Tucci en surplus. Malgré ce contraste, les deux hommes se lièrent d’amitié. Et c’est Calistu qui recommanda Pietrone à son père, Ange Bernardini, podestat de Bastelica…<o:p></o:p>

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    Lucca savait tout de l’histoire du chien de Pietrone. Oratore sonnait pour lui comme le nom d’un animal mythique. Néanmoins, son rêve dans la forêt ne prenait à ses yeux aucune signification particulière. Il avait eu peur des bêtes sauvages. Rien de plus. Rien de moins. Et son imaginaire s’était chargé du reste. L’amenant à la vision d’une chasse nocturne où des sangliers se lançaient à la poursuite d’un molosse. L’enfant se sentait d’ailleurs encore imprégné  des images du rêve. Et de l’angoisse profonde qui l’accompagnait.<o:p></o:p>

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    Il ne raconta donc rien quand Déù, qui observait avec dévotion la Madonuccia, lui demanda s’il avait bien dormi. Si le voyage à dos d’homme ne lui avait pas été trop pénible. Et s’il se sentait bien. « Merci, ça va » se contenta de répondre l’enfant. « Sans toi, je n’aurais nulle part où aller ». Domenico l’embrassa et le ramena à la bergerie. Là, il sortit un gros pain de sa besace. Deux fromages de brebis. De la coppa. Et sa gourde, remplie de l’eau de la source à la croix de corail.<o:p></o:p>

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    Ils mangèrent en silence. Puis, l’homme donna à l’enfant quelques grains de sel. Pas comme une gourmandise, mais pour sceller un pacte. Il en jeta aussi au sol, en se tournant vers le Nord. Lucca, instinctivement, fit de même. Les enfants surprenaient parfois les adultes faire ce genre de geste. Mais rarement ils y étaient associés. A huit ans, le petit Tucci venait de se sentir considéré comme une personne à part entière. Une grande personne presque devenue.<o:p></o:p>

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    Tous deux reprirent leurs affaires pour se remettre en marche. En ce début d’après-midi, le mélange des pins laricio et des hêtres laissait passer abondamment les rayons du soleil. Le sol se dévoilait sans obstacles, ni rugosités. Des oiseaux chantaient. Rien de menaçant ne s’annonçait dans ce paysage. Déù et Lucca semblaient avoir décidé de démarrer l’étape à un rythme paisible.<o:p></o:p>

     <o:p></o:p>

    Après s’être profondément enfoncés dans la forêt de Vizzavona. En allant toujours vers le Nord. Les marcheurs virent le pic du Monte d’oro se singulariser sur leur gauche. Avec son bâton, Domenico le désigna à Lucca, qui l’observait déjà. Puis, il lui dit en souriant : « nous allons tourner le dos à l’Est, mais l’archange du Levant ne nous en voudra pas ! Je le sens même enclin à nous aider. S’il pouvait déclencher un petit vent, nous ne nous en porterions que mieux ! ». Et pour conclure, Déù lança « n’est-ce pas Rafaèle ? ».<o:p></o:p>

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    Et l’air se mit effectivement en mouvement. Un souffle retenu vint frôler les oreilles des marcheurs. Comme pour se signaler avec délicatesse. Puis une brise soutenue et odorante. Alors, Domenico sourit de plus belle. Et Lucca se sentit léger. Porté. Soulevé par des mains invisibles. La marche vers le Monte d’Oro prit un tour magique. Des senteurs de résine et de lavande saturaient l’air. Une respiration cosmique donnait une cadence féerique à l’enfant et à son grand-oncle.<o:p></o:p>

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    Lucca ressentait désormais la forêt avec une acuité nouvelle. Quelque chose que venait de lui transmettre Domenico Uttini aiguisait sa perception et le rendait solidaire de tout ce qui l’entourait. Subrepticement, des formes diffuses s’exhalaient d’arbres ou de roches. Mais si vite qu’à la moindre tentative d’observation les choses redevenaient banales. Du coin de l’œil, Lucca détectait des reflets et des mouvements. Parfois des sourires sans visages. Le petit vent continuait, quant à lui, à pousser avec une insistance amicale. Un peu de joie s’insinuait avec discrétion dans l’esprit de l’enfant.<o:p></o:p>

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    Au pieds du Monte d’Oro, Déù repéra un cercle de pierres. Lucca le vit aussi de loin. Il remarqua que dix énormes rochers le composaient. Comme celui du Monte Niello. Naturellement, l’homme et l’enfant vinrent s’installer au cœur du cercle. Concentré sur son geste, Déù planta son bâton en plein centre. Puis, il prit une posture d’enfermement. Accroupi et replié sur lui-même. Les yeux cachés par ses mains, il sembla s’endormir. Oubliant la présence de Lucca.<o:p></o:p>

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    Après quelques minutes de silence et de balancements, Domenico se mit à psalmodier. « Fata di la furesta … ». « Renata, ma sœur, entends-moi ». « Fata di la furesta … viens à moi ». Des mots suivirent. Inaudibles pour l’enfant. Comme un dialecte ancien. Des consonances rugueuses. Hâchées. Epelées pour démasquer des choses voilées par le monde des apparences. Et des sons en vibration. Intenses. Presque palpables. Comme des doigts cherchant à écarter un rideau.<o:p></o:p>

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    Lucca sentit quelque chose vibrer sous son crâne. Un bourdon apaisant. Doucement, ses paupières commencèrent à peser. A se fermer. Et il s’endormit. L’homme fit de même en ralentissant ses incantations. Puis les bruits de la forêt cessèrent. Les oiseaux, le vent et les insectes furent gagnés par une torpeur communicative. Les nuages eux aussi ralentirent leur course. Le cercle se recouvrit d’un halo invisible.<o:p></o:p>

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    Le temps de la forêt toute entière s’était mis à ralentir. Il n’y eu bientôt plus ni avant, ni après. Plus une branche. Plus une feuille. Plus une aiguille de pin. Plus même une montée de sève. Mais un seul organisme figé, ici et maintenant. Juste un présent momentanément embaumé. Une pause collective. Durant cette flottaison, les rêves de Déù et de Lucca convergèrent vers une grande paix intérieure. Une paix dictée par les équilibres de la nature. Par ses flux et ses rythmes intimes.<o:p></o:p>

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    A leur réveil, l’homme et l’enfant se trouvaient au sommet du Monte d’Oro dans une vaste bergerie. La seule fenêtre de la bâtisse, ouverte sur le ciel, donnait le vertige. Dans un coin, aménagé en cuisine, quelques bruits. Des gestes. Des objets déplacés sur une table. De l’eau qui commençait à bouillir. Tandis qu’une femme sans âge mélangeait des plantes pour préparer une infusion. De dos, sa longue silhouette ne pouvait être que celle d’une fée.<o:p></o:p>

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    Quand elle se tourna vers Lucca, l’enfant eut un trouble immense. Une sensation intense de déjà vu. L’incursion d’un passé jamais vécu. Son cœur lui disait qu’il voyait là les traits de celle à qui il devait la vie. Marqués par quelques années inattendues. A l’évidence, le visage de sa mère. Alors qu’il ne l’avait jamais connue. Son image, dessinée au fil des nuits, ne pourrait désormais plus se défaire. Ses yeux verts éclairaient la pièce. Tandis que son sourire infini irradiait l’âme de Lucca.<o:p></o:p>

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    accès direct : http://www.alapage.com/-/Fiche/Livres/2351700104/?donnee_appel=MNNFR

      

     


  • Commentaires

    1
    visiteur_pavel
    Dimanche 19 Novembre 2006 à 18:22
    Jean-Louis, voil?onc la 1° de couverture de Lucca.
    Tr?belle photo.
    Cet extrait me remet en m?ire ton roman que j'avais vraiment beaucoup aim?Il est bien choisi.
    Qu'il ait le succ?qu'il m?te !
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